Écrire le paysage et l’esprit des choses par Xavier Piton
A l’origine, il s’agit d’une idée partagée entre Sonia Reynes (déléguée aux arts visuels pour l’Association Aveyron Culture) et Karinne Charles (Chargée de mission et conseillère pédagogique arts visuels pour la DSDEN).
Le constat est simple, l’omniprésence du numérique dans la vie de nos petits limite leur intérêt pour l’écriture manuscrite jusqu’à sensiblement réduire leurs facultés en terme de motricité fine.
L’idée est de leur redonner le goût de l’écriture. Comment ? Et bien en leur permettant de pratiquer la calligraphie.
C’est ainsi que la proposition d’intervenir auprès des enfants de la grande section au CM2 me fut faite. Un parcours en six étapes est rapidement élaboré pour être proposé à tous les enseignants des écoles publiques et privées d’Aveyron.
Il n’est pas question ici de prétendre enseigner une écriture calligraphique nécessitant un investissement en temps bien trop conséquent. L’idée est plus de susciter le désir tout en initiant l’enfant à un nouvel état d’esprit quand à sa manière de considérer le graphisme.
Donner envie d’écrire en montrant qu’avant d’écrire des mots l’on peut écrire le vent, les arbres ou encore des paysages. Tout le monde ne sait pas dessiner mais chacun est en mesure de ressentir et donc d’exprimer les éléments de notre nature environnante. Apprendre à respirer est le préalable à une bonne perception, à un bon ressenti. Savoir observer est le premier pas de toute démarche tant artistique qu’intellectuelle. Expérimenter nos facultés esthétiques (comme aptitudes à percevoir) détermine notre capacité à appréhender le monde. Et l’enjeu est de taille comme peut le laisser supposer Claude Médiavilla, notre grand maître calligraphe français : – « Chez le nouveau né, la découverte matérielle et affective du monde se fait par la prise de conscience de son propre corps…
… La sensation que nous avons des choses du monde dérive de la sensation intime que nous avons de nous-même, de notre énergie, de notre activité intérieure …
… Pour sentir le monde extérieur, il faut préalablement éprouver son propre corps intérieur, c’est par celui-ci que le dedans et le dehors communiquent et que s’opère l’échange avec le monde ».
D’un point de vue plus technique le mode d’apprentissage ici proposé est tout à fait original en ce qu’il résulte de trois influences distinctes. La première, ma formation en calligraphie latine purement classique à l’institut Alcuin entretenue par une référence systématique à la bible de tout calligraphe : « La Calligraphie » de Claude Médiavilla. La seconde, la philosophie de « l’ unique trait de pinceau » contenue dans « Les Propos Du Moine Citrouille-Amère » du peintre Shintao . Et enfin la pédagogie du calligraphe allemand Martin Andersh à qui j’avoue avoir emprunté le titre « Traces, Signes et Lettres ».
Trois influences qui s’accordent pour devenir une pédagogie où l’écriture, avant même d’être une technique, s’impose comme une gestuelle grâce à laquelle chacun est en mesure d’exprimer l’essence de son existence.
Mis à la portée des enfants, ce type d’expérimentation axé sur le travail du souffle et des perceptions influe directement sur ses aptitudes au désir, à l’attention et au respect de l’autre.
Comme peut le traduire ce témoignage recueilli auprès d’une institutrice :
« Concernant mes observations sur ce parcours, j’ai trouvé ces 6 séances très riches avec une approche intéressante combinant le souffle au geste. Les élèves sont très réceptifs. Ils ont beaucoup apprécié les différents moments du module, et notamment la découverte du calame. Certains élèves, qui ne soignaient pas particulièrement leur travail quotidien, ont pris du plaisir à réaliser les lettres gothiques et ont montré un soin inédit. Enfin, j’apprécie particulièrement que ce module lie plusieurs matières : art, poésie, geste graphique, expression corporelle et le vivant (nous terminons une séquence sur notre forêt, la faune la flore, les différentes parties d’un arbre, les métiers de la forêt, les dangers qui la menacent…) Merci »
Une particularité non négligeable de cette approche mise en évidence dans ce témoignage est que l’enseignant s’empare rapidement de la méthode qu’il fait sienne et peut ainsi la décliner sur tout projet nécessitant une ouverture à la nature environnante.
17 classes bénéficieront cette année du parcours Traces, Signes et Lettres. Nous ferons un point plus précis en fin d’année scolaire, une fois les travaux finalisés, sur les tenants et aboutissants de l’expérience. Mais quoi qu’il en soit, je remercie chacun de ceux qui ont été acteurs dans la mise en place de ce projet qui me tient à cœur depuis 25 ans déjà.